Les matières plastiques ont métamorphosé nos sociétés modernes, amélioré notre confort et répondu à de nombreuses attentes. Mal gérées au fil des ans, elles se sont accumulées dans l’environnement sous la forme de déchets persistants. En outre, la production de la plupart des plastiques actuels émet des gaz à effet de serre qui participent au réchauffement climatique. D’où le dilemme : bannir les matières plastiques de notre quotidien pourrait-il freiner ces grands périls environnementaux ? Pour les scientifiques, la réalité est bien plus contrastée et complexe. Rencontre avec le Professeur Aurore Richel de l’Université de Liège.
Est-ce substituer le plastique par d’autres matériaux est meilleur pour l’environnement ?
Les études sont formelles : un matériau ne devient pas nécessairement plus durable parce qu’il paraît plus naturel. Exemples : des sacs de supermarché en papier ont un bilan carbone nettement plus élevé que ceux en plastique, de presque 80%. Troquer les bouteilles en plastique par des alternatives en verre ou en métal entraîne des émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère de 15 à 50% supérieures. Remplacer les couverts en plastique par des ustensiles en bois, changer les fibres synthétiques de nos textiles d’intérieur par de la laine, ou même échanger les canalisations en plastique de nos maisons par des tuyaux métalliques sont tout autant de décisions trompeuses. Les scientifiques affirment aujourd’hui que résoudre la crise des plastiques ne passera pas par une interdiction totale de ces matériaux, car ils demeurent indispensables dans certains secteurs où ils garantissent sécurité et efficacité.
Dans quels objets le plastique est-il indispensable et ne peut être remplacé ?
Prenons le domaine de la santé. Par quoi pourrions-nous remplacer les matériaux plastiques utilisés dans les masques chirurgicaux, les gants, les seringues, les poches de transfusion et les fils de suture ? Ou encore les lentilles de contact, les implants dentaires ou même des valves cardiaques ? Les matériaux plastiques sont primordiaux en médecine parce qu’ils peuvent être stériles, biocompatibles, biorésorbables ou antibactériens. Ils sont tellement performants et innovants, qu’ils peuvent maintenant réparer des organes défaillants, des tissus endommagés, des os brisés et protéger les peaux brûlées.
Grâce à leur coût abordable et leurs performances uniques, les matériaux plastiques jouent également un rôle décisif dans le traitement et la distribution de l’eau, participant à l’accès à l’eau potable dans les contrées arides. Robustes et sûrs, isolants ou conducteurs d’électricité ou de chaleur, les plastiques sont tout aussi indispensables dans le secteur de l’énergie, pour les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les électrolyseurs pour la production d’hydrogène vert, les câbles de transport de l’électricité, les pompes à chaleur et les isolants pour nos bâtiments.
Devons-nous continuer à utiliser les matières plastiques pour leurs avantages indéniables ou y renoncer pour protéger notre planète ?
Le dilemme des plastiques est donc complexe à aborder car il mêle les faits et les émotions, les données scientifiques et les convictions personnelles. De nombreuses voix appellent à leur retrait dans le conditionnement de nos aliments et de nos boissons, ainsi que dans l’agriculture, la construction, et la fabrication de jouets, de voitures, de meubles et de textiles. Mais il est évident que nous ne pourrons pas abandonner ces matériaux dans un futur proche. Il manque d’alternatives fiables et la plupart des substituts s’avèrent parfois encore plus problématiques. Mais la sobriété dans notre utilisation des plastiques doit devenir la norme. Il est crucial de refuser le suremballage inutile, les usages superflus et les plastiques à usage trop éphémère.
Miser sur le recyclage des déchets plastiques pourrait-elle constituer une solution ?
Le recyclage permettrait de traiter les plastiques en fin de vie tout en réintégrant le carbone qu’ils contiennent dans des cycles de production ultérieurs. De nombreux acteurs publics soutiennent pleinement cette approche, bien que les scientifiques en soulignent déjà les limites. Actuellement, le recyclage est efficace uniquement pour quelques types de plastiques, souvent les plus simples. De plus, il consomme énormément d’énergie, détériore la qualité du plastique et entraîne des pertes matérielles. Les plastiques que nous utilisons depuis des décennies n’ont jamais été conçus pour être recyclés. Pour l’instant, le recyclage n’est donc pas la solution miracle.
Est-il possible de concevoir des plastiques plus facilement recyclable ?
En s’inspirant de la nature, notamment des plantes, des algues ou des insectes, les chercheurs peuvent concevoir des matériaux bio-inspirés et potentiellement biodégradables. Ils peuvent aussi synthétiser de nouveaux matériaux moins nocifs, moins propices à générer des microplastiques, et intégrant des additifs plus responsables. Les plastiques de notre futur pourraient aussi devenir actifs et intelligents, protégeant encore plus nos aliments et indiquant aux consommateurs des contaminations par des bactéries ou des virus. Ils pourraient se transformer en éléments de stockage des énergies renouvelables sur le réseau. Dans le bâtiment, ils deviendraient des composants des fenêtres solaires qui génèrent de l’électricité à partir des rayons du soleil. Ils seraient aussi les matériaux-clés pour reconstruire, par impression 3D, des organes malades. Cette approche doit être plus largement soutenue financièrement pour permettre aux chercheurs de développer de nouveaux matériaux plus durables mais tout aussi performants.
Comment diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans la production des plastiques ?
Adopter des méthodes agressives de capture des émissions de dioxyde de carbone sur les sites de production pourrait permettre une réduction significative de ces émissions gazeuses. Intégrer davantage d’énergies renouvelables dans les phases de production et prévoir des synthèses plus vertes pourraient également contribuer à atténuer le problème. En appliquant ces stratégies de production plus vertueuses, en misant sur des options innovantes de recyclage, notamment le recyclage chimique, et en gérant la demande, il serait possible de maintenir les émissions du secteur en 2050 à un niveau comparable à celui que nous connaissons aujourd’hui. Par ailleurs, en intégrant la biomasse et le carbone issu du recyclage dans des approches circulaires, les émissions pourraient encore être réduites, atteignant une diminution absolue par rapport aux niveaux actuels. Il est impératif d’intervenir à chaque étape de la chaîne de valeur, en incluant la priorisation des applications et la sensibilisation. Négliger cette approche serait courir le risque de fragiliser nos industries, mais également et de manière paradoxale, notre environnement lui-même.
Lire l’article complet sur le blog du Prof Richel